Cet été, le président du Kazakhstan a signé une loi interdisant de se couvrir le visage avec des vêtements dans les lieux publics. Ce document ne mentionne pas les burqas et les niqabs, mais c’est grâce à lui que les autorités ont mis un terme aux débats sur la pertinence de ce type de vêtements dans la rue. La loi a été adoptée en moins d’un mois, et l’interdiction des vêtements couvrant le visage n’y a été ajoutée qu’au stade final de son examen. Les autorités ont ainsi réussi à éviter des discussions inutiles.
Discrimination ou souci de sécurité ?
L’interdiction des vêtements dissimulant le visage figure dans les amendements à la loi « Sur la prévention des infractions ». Le document avait déjà été adopté par la chambre basse du Parlement lorsque, à la mi-juin, le groupe de travail du comité sénatorial sur la législation constitutionnelle, le système judiciaire et les forces de l’ordre a proposé d’y inclure cette nouveauté.
Les sénateurs ont convenu que la proposition était pertinente et qu’elle permettrait d’identifier plus rapidement les criminels. Toutefois, ils n’ont pas adopté le paquet d’amendements dans son ensemble, le renvoyant au Mazhilis (chambre basse) pour révision. Les modifications concernaient des questions sans rapport avec l’habillement, à savoir l’octroi de logements aux membres des forces de l’ordre. Elles ont été examinées rapidement et, dès le 25 juin, le document a été transmis au président Tokaïev, qui l’a signé le 30 juin.
Conformément à la loi, le port de vêtements cachant entièrement le visage est désormais autorisé dans les lieux publics dans des cas exceptionnels : dans l’exercice de fonctions officielles, pour des raisons médicales, à des fins de défense civile, pour se protéger des conditions météorologiques défavorables, ainsi que lors de la participation à des événements sportifs et culturels, conformément à la législation.
Bien que le document ne contienne pas de liste d’articles vestimentaires spécifiques, outre les masques et les cagoules, les niqabs et les burqas qui couvrent entièrement le visage sont manifestement interdits. Les autorités kazakhes les ont déjà critiqués à plusieurs reprises, et en mars 2024, Kassym-Jomart Tokaïev a qualifié les niqabs de vêtement archaïque imposé aux Kazakhes par des néophytes aux opinions radicales.
Cependant, le débat sur l’interdiction du niqab avait commencé bien avant dans le pays, après l’attaque de la ville d’Aktobe en juin 2016. Plusieurs dizaines de radicaux avaient alors attaqué des magasins d’armes et une caserne militaire, faisant 25 morts, dont 18 assaillants. Selon les informations officielles, les terroristes étaient des adeptes de « courants religieux destructeurs ».
Après l’attaque, le président de l’époque, Noursoultan Nazarbaïev, avait publiquement critiqué ceux qui portaient des vêtements religieux, ainsi que des pantalons courts ou retroussés et des barbes, appelant à « travailler sur la question de l’interdiction de ces pratiques au niveau législatif », car elles ne correspondent pas aux traditions kazakhes.
Deux ans plus tard, des modifications à la loi sur les activités religieuses, qui ont fait beaucoup de bruit, ont été soumises au Parlement. Elles prévoyaient notamment des amendes pour offense aux sentiments des athées, mais surtout, elles interdisaient le port de vêtements (en particulier religieux) qui empêchent de reconnaître le visage d’une personne.
Le projet de loi n’avait pas été adopté : le gouvernement l’avait retiré du Parlement et les autorités ne sont plus revenues sur des mesures aussi radicales, même si certaines remarques concernant précisément les vêtements ont périodiquement été formulées depuis les hautes tribunes.
Ce sujet a refait surface au printemps dernier après la publication sur les réseaux sociaux d’une photo prise à la patinoire couverte d’Atyrau. On y voit quatre jeunes filles en niqab posant avec un drapeau kazakh « modifié ». Outre le soleil traditionnel, l’aigle en vol et les ornements, on y voyait un sabre et une inscription en arabe : la shahada.
Cette photo a suscité de vives discussions sur les réseaux sociaux. Certains commentateurs ont proposé de poursuivre les jeunes filles pour profanation du drapeau, d’autres y ont vu une menace islamiste, d’autres encore ont supposé que des hommes pouvaient également figurer sur la photo, leurs visages n’étant de toute façon pas visibles. Beaucoup se sont souvenus des directs sur TikTok, où des jeunes filles en niqab, principalement originaires des régions occidentales du pays, insultaient les spectateurs qui tentaient de leur demander pourquoi elles portaient des vêtements arabes. De nombreux commentateurs ont appelé les autorités à « se pencher sur le problème » et à interdire « les vêtements étrangers aux Kazakhs ».
D’autres ont souligné qu’il n’y avait aucun lien entre les vêtements religieux et les opinions radicales, et que l’interdiction de porter des vêtements religieux violait le droit à la liberté de croyance. Que le niqab, en tant que tel, n’est pas un signe d’appartenance à l’islamisme radical. Mais ils se sont retrouvés en minorité.
Afin d’éviter toute polémique, les autorités ont renoncé à invoquer les motivations religieuses de l’interdiction, se concentrant plutôt sur la sécurité et s’assurant le soutien de la muftiyyat. Ce dernier a déclaré que les modifications apportées à la loi « ne visaient pas à restreindre les convictions religieuses ou les préférences personnelles ». « De nombreux pays dans le monde, y compris des pays musulmans, prennent également des mesures similaires pour des raisons de sécurité », a indiqué l’Administration spirituelle des musulmans du Kazakhstan, ajoutant que l’interdiction du port du niqab était conforme aux prescriptions islamiques.
Les représentants du clergé ont cité des passages du Coran et des hadiths du prophète Mahomet, qui stipulent que les femmes doivent simplement couvrir leur corps. Le visage et les mains peuvent rester découverts.
« Cette tradition (de se couvrir le visage – ndlr) n’est pas très répandue dans les coutumes de notre peuple », a expliqué l’Administration spirituelle des musulmans du Kazakhstan, ajoutant que cette nouvelle mesure contribuait à préserver la paix sociale.
Une explication concernant l’interdiction a également été publiée par l’Institut kazakh d’études stratégiques auprès du président. Un article publié sur le site web de l’institut indiquait que le niqab était déjà porté dans l’Arabie préislamique. Il servait à protéger les Bédouins du soleil brûlant, du sable et de la poussière.
« Le secrétaire général du Conseil des fatwas de l’université Al-Azhar du Caire, Khaled Omran, a expliqué que ni le Coran ni la sunna n’imposent son port et n’obligent les femmes musulmanes à le porter. Et tous ceux qui affirment que les normes de la charia prescrivent le port du niqab se trompent », a souligné l’auteur de l’article.
Expérience étrangère
L’Institut a également fait référence à l’expérience d’autres pays, rappelant qu’en France, l’interdiction de porter des vêtements couvrant le visage dans les lieux publics est entrée en vigueur en 2010. En Belgique, une interdiction similaire a été introduite en 2011 et confirmée par la Cour européenne en 2017. Des normes similaires sont en vigueur aux Pays-Bas, en Suisse, en Bulgarie, en Autriche, au Danemark et en Allemagne.
En ce qui concerne les États d’Asie centrale, l’Ouzbékistan interdit depuis novembre 2023 le port dans les lieux publics de vêtements couvrant le visage et ne permettant pas d’identifier la personne. De telles infractions sont passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 15 unités de calcul de base (environ 750 euros).
Une interdiction similaire est en vigueur au Kirghizstan. La loi correspondante a été signée par le président Sadyr Japarov en janvier de cette année. Toute infraction est passible d’une amende de 20 000 soms kirghizes (environ 200 euros). En avril, l’Administration spirituelle des musulmans du Kirghizstan a soutenu l’interdiction, qualifiant le niqab d’élément vestimentaire « étranger à la société ».
« Dans les réalités actuelle, il n’est pas exclu que, sous l’apparence de nos sœurs portant le niqab, des malfaiteurs déguisés en femmes menacent la sécurité publique. Il est donc important de se montrer à visage découvert afin d’être reconnaissable », a déclaré la muftiyyat.
En avril, à Jalal-Abad, la troisième plus grande ville du Kirghizistan, des contrôles ont été menées pour faire respecter l’interdiction, au cours desquels les forces de l’ordre ont eu des « discussions explicatives » avec les femmes portant le niqab dans la rue.
Le Tadjikistan applique les règles les plus strictes en la matière : il est interdit d’importer, de vendre et de porter des vêtements « non conformes à la culture nationale ». Cela concerne les niqabs et les hijabs qui, selon les informations publiées par les médias locaux, doivent être portés comme des foulards.
Dans tous les cas cités, les contrevenants sont passibles d’amendes. On ne sait pas encore quelles sanctions seront appliquées au Kazakhstan, ni la manière dont les contrevenants seront identifiés.
-
10 Novembre10.11Vivre en dépit des revers
Le réalisateur ouzbek Rashid Malikov nous parle de son nouveau film, de la menace médiévale et des salaires des cinéastes
-
20 Octobre20.10Plus ancienne que la Ville éternelle
Qu’a accompli Samarcande au cours de ses trois mille ans d’existence ?
-
16 Octobre16.10Contrôle numérique, recrutement ciblé
L’essentiel des mesures du concept de politique migratoire pour les années 2026-2030 approuvé par le président russe
-
15 Octobre15.10Un retour au Moyen Âge
Pourquoi le Kirghizistan ne doit pas rétablir la peine de mort
-
02 Octobre02.10« Voir la kiswa, c’est comme faire un petit pèlerinage “virtuel” »
Damir Mukhetdinov, vice-président de la Direction spirituelle des musulmans de Russie, parle du Centre de la civilisation islamique à Tachkent, du voile de la Kaaba et des Corans
-
26 Septembre26.09PhotoLe bazar en gros plan
Excursion photo dans la vallée de Ferghana



